
Le couloir de la mort
Après quelques essais de semis précoces, je sirote ma tisane d’ortie en regardant un reportage en replay : « Le bœuf voit rouge ». J’ai hésité avant le lancement de la vidéo. Je me doutais que ce visionnage ne me procurerait pas infailliblement un ardent plaisir, mais restée informée pour affûter ses prochains arguments est toujours utile.
Où l’en apprend, par exemple, que les ruminants émettent la majorité du méthane en France. Bon …
Passons sur les effets du rouge sur la santé cardio-vasculaire.
Passons sur l’enquête de Greenpeace alertant sur les fermes-usines françaises de bovins, entre autres.
Passons sur la viande importée de piètre qualité mais vendue à bas prix et ce n’est peut-être que le début (négociations UE/MERCOSUR).
Passons sur les tourteaux de soja brésiliens.
Passons sur la propagande des grands groupes industriels.
Passons sur des stagiaires dégustant un BBQ de viande rouge et s’en léchant les babines.
Passons. Passons. Passons.
Puis, la séquence cruciale. L’abattoir. L’abattoir de proximité, aucun industriel du secteur n’ayant voulu montrer le passage de l’animal à la viande. Non, la colère ne me gagne pas mais un abattement certain qui me tire quelques larmichettes. La mise à mort en images, enfin presque, la préparation de la mise à mort à laquelle on n’assiste pas. La morale est sauve.
La séquence démarre, Marguerite, la vache, me regarde à travers l’écran de l’ordinateur, je déglutis. Je ne vois que ses bons gros yeux de vache. Pourtant, elle semble écouter, avec un soupçon d’anxiété, les protagonistes du reportage. Les professionnels sont fiers de leur métier. Bon … Tout doit se passer gentiment, tranquillement, paisiblement. Les éleveurs conduisent leurs bêtes à l’abattoir et ce n’est pas du sens figuré !
J’endure, je mémorise, j’apprends.
« Allez, va mon petit » ! Ah, le doux refrain. La visite de l’abattoir va durer à peu près 5 minutes, Marguerite va passer de vie à trépas en moins de temps qu’il ne faut pour avaler un tartare. Je suis du regard les animaux, dans les étroits couloirs, vers l’ultime instant de leur vie de ruminant. Un œil par-ci, une oreille par-là, des cornes, Un c..l. Le couloir est lumineux pour rassurer Marguerite. Oh, merci ! Dernière étape du très court trajet, le « piège ». Dénomination parfaitement choisie. Dans le piège, Marguerite va être étourdie : elle verra trente-six chandelles sans la moindre douleur. La suite est schématisée. On n’est pas dans un film d’horreur, après tout. Aucun animal n’est tué conscient, dixit la loi européenne. Oh, merci l’Europe ! Marguerite se retrouve tête en bas. C’est mieux pour l’écoulement carotidien. Les images de la vidéo défilent à nouveau. Les bons gros yeux de ma Marguerite ont disparu, une carcasse glisse vers l’écran au milieu de blouses blanches.
C’est terminé. La vache est morte, vive le steak !
Je pense aux Etats du monde qui exécutent leurs citoyens sans étourdissement préalable. La mort en direct. Oh, merci Badinter ! Hommage national mérité.
Je pense aux vives discussions avec ma fille, concernant le statut du chien, toujours paralysé … Je frémis de honte, car oui, la seringue, j’y ai pensé …
J’écris, j’écris. L’heure tourne. Vite ! Le dîner … végétarien …