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« Noces de sang »*

Jeudi 23 octobre 2025.

A des cérémonies de mariage, j’ai assisté. Je m’y suis volontiers pliée mais sans joie pure. J’avais vécu, jeune enfant déjà désabusée, le spectacle désolant du couple parental. Désolant. Ah, la photo des mariés, dans son cadre, sur le manteau de la cheminée. Intrigant noir et blanc de deux jeunesses aux bouches qui ne sourient pas.

Le mariage. Moue dubitative en arrière pensée, interrogation sinon incompréhension majeure, le refus inconscient d’un rite patriarcal. Passer l’anneau au doigt, se jurer fidélité et assistance, la farce sociale. J’ai pourtant assisté au mariage de plusieurs de mes amies, du bucolique à l’ultra chic, dans les vignes bordelaises avec dress code de circonstances. J’ai également assisté, à mon corps maternel défendant, au mariage à l’obsolescence programmée de ma fille unique. Une brève escapade, fautive j’en conviens, m’avait valu d’être absente des clichés, de ceux que l’on conserve. De mauvais augure en quelque sorte. Dont acte.

Mais, bref, je m’égare car ce qui me passionne ce matin, c’est cette superbe mariée. Elle s’avance au bras raide et fier de son père, un brin coincé et pour cause, un père qui, sans aucun doute, l’aime sincèrement comme les géniteurs le font, généralement. Il est sérieux mais pas comme un pape. Elle est radieuse. Elle est grande, belle, sa longue chevelure brune cascade sur ses épaules nues, sous un très léger voile blanc. Le blanc qui éclaire, le blanc éclatant qui efface la noirceur du cruel, ou, peut-être pas. Nues, ses épaules, nue, sa gorge, nu, son décolleté. Elle irradie de beauté solaire. Des femmes l’entourent, belles aussi, nues d’épaules, aussi, nues de gorge, aussi. Le futur époux attend sa promise dans un décor opulent de famille riche, sous les acclamations de liesse familiale,

Oui, mais cette jolie jeune femme n’est pas n’importe quelle jolie jeune femme, c’est une jeune Iranienne. Non, pas de celles qu’on insulte pour une insolence de jeunesse. Non, pas de celles qu’on traîne sur les trottoirs pour quelques carrés de peau au soleil. Non, pas de celles qu’on piétine dans des manifestations de liberté empêchée. Non, pas de celles qu’on laisse pourrir lentement dans d’immondes geôles. Non; pas de celles qu’on assassine pour quelques mèches de cheveux montrées. C’est que, cette mariée, heureuse d’être dans ce décor clinquant au milieu des siens, à la chevelure librement ondulante, nue de peau, est la fille d’un dignitaire du régime iranien des mollahs. Hallucinant ! Ubuesque ! Orwellien !

Ah ! Les ordures ! Des leçons de conduite religieuse, ces ignobles mollahs, en assènent à leur peuple, autant que de coups de pied à leur jeunesse désespérément rebelle.

Ah ! Les salauds ! Des leçons de pieuse morale, ces cyniques chiites en couvrent le corps de leurs femmes, autant que de lâches bâillons les bouches sanglantes.

Ah ! Les charognes ! Des leçons de hiérarchie religieuse, les barbus ayatollahs en exposent à leurs enfants, autant que de hauts gibets publics les corps inertes.

Ah ! Les obscènes ! Des leçons de diplomatie nucléaire, ces vils religieux voudraient en imposer au monde occidental, autant que de ses délices; ils voudraient, en douce, se délecter. En douce le somptueux mariage. En douce, la musique forte. En douce, les épaules nues. En douce la liberté. Clownerie ! Tartufferie ! Mensonge ! Perfidie ! Imposture !

Belle, la jeune femme de blanc vêtue. Assassinée, la jeune Masha.

Légère, l’amoureuse souriante. Emprisonnée, Nazila Maroufian.

Élégante, la fiancée privilégiée. Exécutés hier, les plus de mille opposants.

Heureuse, la mariée comblée. Meurtri, le peuple iranien.

* Noces de sang (bodas de sangre), pièce de théâtre, Federico Garcia Lorca. 1933.

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