Grand âge
Me voilà, ce matin, de nouveau sur les pistes cyclables. Je pédale, dur.
J’ai promis à Mme X (heure civique de ma commune), que j’irai chercher ses médicaments à la pharmacie. Dans sa cuisine, l’ordonnance sous le nez, je reste interloquée. 13 prescriptions ! Je parcours la longue liste. Je reconnais un produit, inscrit sous son nom français, produit que j’achète dans ma Biocoop sous son nom anglais. Au magasin, ce n’est pas un médicament, sur l’ordonnance, si. Comme je reste figée devant la feuille, Mme X m’explique que le dernier produit inscrit est nécessaire pour les soins de ses ongles de pieds. Mon cerveau vrille, je me téléporte sur ma terrasse, je m’étire, réalise mes postures de Yoga, mes roulades, mais surtout je me visualise en train de me couper les ongles des orteils, une jambe par-dessus l’autre.
Ce matin, au saut du lit, je n’ai pas oublié la salutation au Soleil. Je la refais, là, tout de suite, pour me rassurer.
Je sais déjà que Madame X est née en 1933, je l’ai vu sur sa carte vitale. Cette information m’avait instantanément ramenée vers mon père, né en 1934, mort en 1991. Je n’avais pas réalisé un seul instant ce qu’est le grand âge, c’est bien de cela qu’il s’agit ? Je n’ai jamais su « donner d’âge » et les rares fois où je m’y suis risquée, ont conduit à des bourdes vexantes. Je n’arrive pas à percevoir le visage du grand âge, le corps, oui. Les visages de mes parents n’avaient pas d’âge non plus, ils semblaient n’être que deux visages parentaux dans le regard de l’enfance. Je me revois enfant, avec mon frère et mes sœurs nous demandant quel âge nous aurions en l’an 2000. On pouffait en calculant. « 38 ans ! T’auras 38 ans en l’an 2000, fanfaronnait mon frère ! » Cela nous semblait absolument et définitivement vertigineux, inimaginable ! Je ressens à nouveau cette impossible acceptation du vieillissement.
2023. Je marche vers le spot des géants de l’industrie pharmaceutique, un grand sac sous le bras.
Je marche et j’ai 9 ans, Michel Fugain chante son beau roman. Portée par les vagues de la marée montante d’Oléron, je crie, je ris, j’appelle mon frère. On pousse du pied pour ne pas rater la crête de la vague. La mer nous porte puis nous jette sur le sable. On en a plein les maillots de bain. Zut alors ! Ca finit souvent mal. Mon frère m’agrippe et j’bois la tasse. Je crachote, j’me frotte les yeux qui piquent de sel et j’lui lance des noms d’oiseaux.
Je marche et j’ai 16 ans. J’ai acheté le dernier Supertramp. Assise à l’arrière de la 125, je m’accroche à P. qui fonce comme un dingue dans la nuit du samedi. Pas de temps à perdre, une boum nous attend. La boum, lieu de tous les fantasmes adolescents. Trop de maquillage, trop de garçons, trop de bières. « Tu crois que M. sera là ? » « Tu crois que que j’ai une chance avec lui ? » P. assiste impuissant à mes escapades enivrées. C’est vraiment un gentil garçon, il me ramène toujours.
Mon cerveau bugue !
Mon cerveau me renvoie en permanence au lisse de l’enfance, au lisse de la jeunesse. J’ai 9 ans ! J’ai 16 ans ! J’ai 20, 30, 40 ans ! J’ai tous les âges mais pas celui de la vieillesse !

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