Du bleu en bandes
Vendredi 17 octobre 2025.
Du bleu. Du bleu. Du bleu. Dans un incroyable et réjouissant retournement de calendrier, juste auparavant chagrin, me voilà, hier jeudi, à l’école des Beaux-Arts. Vrai début de l’atelier peinture et sculpture. Finalement, la prof, courageuse, le bras en écharpe, a tenu à rencontrer son groupe avant des vacances au nom désormais inconvenant, laïcité pure et dure oblige. Exit tous les Saints !
Le groupe. Des jeunes, très jeunes, des plus âgées, beaucoup plus âgées, des évaluées entre deux âges. Un seul représentant du sexe masculin, tiens ? Nous sommes assis autour de la table professorale, la salle est orientée plein sud, je savoure la douce chaleur qui a envahi l’ancienne classe de collège. Rapide tour de table. « Et toi ? » « Transfuge du cours de photo » J’écoute d’une oreille semi-attentive la présentation pédagogique, et, comme à l’école, je fais passer à mes voisines, de droite ou de gauche, les reproductions artistiques. Mon cerveau exulte dans cette ambiance quasi scolaire que j’aimerai profondément, jusqu’à mon dernier souffle, si tant est que je puisse souffler à cet instant précis autant que fatal. Puis, présentation des outils, de l’espace du cours. Nous allons appliquer, sur un fond coloré ou non, les bandes d’une couleur, déclinée dans ses nuances, ses valeurs, ses dégradés. J’ai l’air d’en connaître un rayon en vocabulaire technique mais je viens de le consulter en ligne … Je commence par un format A4 à couvrir d’inspirations personnelles. Petit format pour petites ambitions. Je suis novice dans l’art d’appliquer la couleur avec réussite. Tout le monde se précipite sur, les couleurs primaires à mélanger, les vieilles assiettes faisant office de palettes et les pots d’eau. Il fait chaud, je suis bien, j’attends patiemment mon tour.
Bleu. Je veux du bleu. Même si mon bleu en rabattra (cqfd) dans peu de temps, c’est du bleu que je veux. Ma couleur fétiche. Bleu. Primaire, garçon (enfin, avant …), ciel, mer, outremer, indigo, uniforme, roi, froid aussi. « Plus bleu que le bleu de tes yeux » … Ploc ! Un micro boudin de bleu atterrit sur l’assiette, suivi du noir, du blanc, et des deux autres primaires. Je choisis une place et me juche sur le tabouret haut. Zut ! J’ai oublié les deux pots d’eau. Je regarde la feuille blanche, ma voisine de table s’active. Elle s’applique et applique avec énergie tandis que je réfléchis devant ma page blanche. Voilà mon problème intime et tenace. Je réfléchis, je soupèse, j’évalue, je compare, j’interroge, j’attends, je me demande … « Ne réfléchis pas trop », me conseille la douce prof, « Lance-toi ».
Je trempe la brosse, la plonge dans le noir, j’étale, je noircis, je passe, je repasse, fond noir. Clic ! Clic ! J’envoie mes exploits en graine à mes amies. Petits rires aussi discrets qu’idiots. L’affaire se corse, j’éclaircis mon bleu qui blanchit, encore un peu, oui. La bande centrale est là, sous mes yeux satisfaits ! Je noircis mon bleu qui fonce, encore une bande. Je rougis mon bleu qui violace, et encore une. Je suis concentrée, je m’applique comme la bonne élève. Je m’envole vers le CM2. Je revois mon maître, celui qui inspirait, même les cancres. J’ignorais, innocente fillette, que c’était le charisme pédagogique. J’entends encore ses lectures de fin de classe, sa voix, sa diction. « La guerre du feu », le presque début d’une longue passion littéraire. Et oui ! Les Jojo Lapin, Club des Cinq et autre Fantômette, je les avais déjà goulûment avalés. Mais « La guerre du feu », c’était déjà la presque grande cour des lectrices accomplies.
Je suis aux anges (bientôt interdit ?), la feuille a perdu sa blancheur indécise. Des bandes, des bandes de bleus, purs ou dilués. Je jette un coup d’œil intéressé aux productions de ma voisine. J’ai à peine terminé ma première feuille, elle commence la quatrième, pardon, du A3. En authentique égoïste, je préfère ma production, œuvre me semblant un brin prématuré. La prof passe, « c’est beau ». Je glousse, intérieurement, car je reste modeste. Modeste comme un Van Gogh commençant « La Nuit étoilée », modeste comme un Monet peignant « Les Nymphéas », modeste comme un Gauguin achevant « Tahitien couché ». Modeste, quoi !
Tout est calme et studieux dans la salle de cours. Chacun s’affaire à ses bandes. Quelques mots échangés ou bruits d’eau parviennent à mes oreilles. Trois heures de plaisir et de paix intérieure. Le bonheur. La bonne heure.
NB : dans le but légitime de n’inciter à aucune jalousie artistique, l’image du billet, mise en avant, est composée du seul fond noir …

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6 jours
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